Médée de Marc-Antoine Charpentier
Salle Gaveau, Paris
19th May 2005
Il est assez rare de rencontrer un artiste aussi parisien que le fut Marc-Antoine Charpentier. Né vers 1643 ou 44 dans notre capitale qui le verrait mourir soixante ans plus tard, on ne connaît guère de détails sur ses années de formation, si ce n'est un grand séjour romain qui lui valut d'étudier auprès de Giacomo Carissimi. De retour à Paris, Charpentier fréquente les milieux italianisants de Saint André des Arts, et rencontre bientôt Molière avec lequel il collaborera, ce qui le désigne rival du grand Lully ; c'est ainsi que son Malade imaginaire verra le jour en 1672. Poursuivant une carrière auprès des Comédiens Français, il serait ensuite Maître de musique près du Dauphin de France, sans pour autant qu'une telle faveur ne lui permît de diriger, comme il le convoitait, la prestigieuse Chapelle Royale – il lui faudrait attendre 1698 pour y parvenir - ; c'est alors vers les Jésuites qu'il se tourne, avec succès puisqu'il devient Maître de musique du Collège Louis-le-Grand. On observe un souffle nouveau dans son œuvre avec l'écriture de plusieurs pièces pour la scène, lorsqu'il entre au service de la Princesse de Guise, à quarante ans.
Après Celse et David & Jonathas, sa tragédie lyrique Médée, fidèle au canon lulliste, est créée le 4 décembre 1693 à l'Académie Royale de Musique. C'est au poète Thomas Corneille, frère du plus fameux Pierre, que Charpentier confia l'écriture du livret, à partir du texte d'Euripide, et dans le respect de certains principes conseillés par Quinault. Alors que la fidélité manifeste de l'ouvrage au modèle de Lully, disparu six ans plus tôt, nous semble aujourd'hui évidente, le public d'alors lui réserve un accueil si froid que le compositeur ne se risquera plus dans le genre de la Tragédie lyrique si cher à son illustre initiateur. À y regarder d'un peu plus près, force est de constater dans la pièce de Charpentier un lyrisme exacerbé qui, sans nuire jamais à la clarté de la sacro-sainte déclamation, véhiculait certains italianismes annonciateurs des ouvrages de Rameau auxquels les amateurs du temps résistèrent de même. Donnée une nouvelle fois à Lille, en 1700, pour une représentation qu'un malchanceux incendie devait interrompre, Médée est oubliée jusqu'à ce que Jean-Claude Malgoire la ressuscite au concert deux cent soixante-seize ans plus tard ! Tandis qu'en 1984 William Christie en effectue la première gravure discographique, Michel Corboz dirige l'œuvre pour une mise en scène de Bob Wilson à l'Opéra de Lyon. Il semble alors qu'une nouvelle vie lui soit offerte, puisqu'en 1991, Christophe Galland en signe la production à Dinard, et qu'elle connaît enfin le succès qu'elle mérite grâce au luxueux écrin qu'en 1993 Jean-Marie Villégier lui concocte à l'Opéra Comique. Après les semi-représentations réglées par Olivier Simonnet à Versailles cet automne, Hervé Niquet donnait ce soir Médée au concert, avec quelques coupures nécessaires : l'absence du Prologue permit d'entrer directement dans le vif du sujet, d'autant que les premiers pas de la scène initiale sont fastueusement introduits, de même que l'ablation des divertissements favorisa la marche du drame. Le chef a mené une lecture avant tout théâtrale tout en colorant richement son orchestre. On eut cependant à regretter une distribution décevante, dont seuls les petits rôles, fort honorablement tenus par Anders Jerker Dahlin, Benoît Arnould et Nicolas Bauchau, et la Médée de Krisztina Szabó, au timbre épicé extraordinairement expressif, ont tiré leur épingle du jeu.
Bertrand Bolognesi
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