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Händel en France

Händel en France

Le mélomane händélien se réjouit des fêtes que lui réservent les théâtre français, à commencer par le vaste Cycle Händel proposé par le Théâtre des Champs-Elysées (Paris), sorte de festival entretenu par cette maison depuis de nombreuses années déjà. Durant l'actuelle saison 2006/2007, ces rendez-vous désormais traditionnels s'agrémentèrent de parallèles inattendus : de nouvelles productions à Nancy et à Nice, ainsi qu'une reprise du Giulio Cesare de David McVicar de Glyndebourne à Lille (sur laquelle nous ne reviendrons pas). Force est de constater que cette ébullition occasionne de sérieuses questions, au regard des mises en scène que l'on put voir.

À commencer par le Giulio Cesare d'Irina Brook à Paris (en octobre, Théâtre des Champs-Elysées) qui confrontait le public à une profusion de gestes, de gags, d'installations et de déménagements, alors que la musique suffit à camper les situations. Cette gesticulation se mettait alors au service de l'irrecevable vulgarité d'une lecture ne reposant que sur de vagues trouvailles d'une affligeante futilité, et accusait plusieurs contresens révélant une inculture inquiétante chez un créateur.

Moins anecdotique, le travail de Lukas Hemleb pour Ariodante (en mars, Théâtre des Champs-Elysées) respectait la datation de l'intrigue et son contexte chevaleresque par un dispositif - ingénieux mais vite épuisé - matérialisant l'enfermement provoqué par les passions et par le pouvoir politique. Une vraie réflexion sur l'œuvre habitait la démarche générale de cette réalisation, induisant une pertinente rhétorique du refuge, mais on regretta que son exploitation, pour respectable qu'elle fut, fît reculer le drame qu'elle s'évertuait d'expliquer plutôt que de comprendre. Bref, on s'y ennuya ferme, malgré un intelligent substrat.

À l'Opéra de Nice (également en mars), Gilbert Blin montait Teseo, ouvrage plus rare. Cet artiste a plus d'une fois abordé les œuvres dans le respect et, parfois même, la reconstitution des conditions qu'elles connurent lors de leur création. Aussi attendait-on peut-être trop de lui. On ne discutera pas ici le bienfondé de sa conception - il va sans dire que nous accordons pleine confiance à l'honnêteté intellectuelle et aux recherches du maître d'œuvre, ainsi qu'au savoir-faire et à la culture de ses complices Elisabeth Trubert pour les costumes et Caroline Constantin aux peintures -, mais on s'interrogera tout de même sur le curieux chemin qui conduit cette volonté manifeste d'authenticité à réaliser ce spectacle dans un théâtre qui ne s'y prête pas, de sorte que l'anachronisme s'y fait si sensible que cette production ne convainc pas.

Comment représenter aujourd'hui les opéras de Händel ? La question est de taille, à en juger par ces tâtonnements. Lustre poussiéreux autant que prétentieux ici, cérébralité ennuyeuse ailleurs, mièvrerie trash et incohérente là… Que faire ? Sans doute Yannis Kokkos solutionne-t-il en partie le problème lorsqu'il concentre sa mise en scène de Giulio Cesare à l'Opéra National de Lorraine (toujours en mars, Nancy) sur le rythme et les situations, montrées dans l'écrin judicieux d'un palais aux fresques intégrant des motifs antiques égyptiens à une esthétique Art Déco coloniale, créatrice de relief, de profondeur et de climats. Le résultat était fort beau, reconnaissons-le, mais, là encore, n'a pas manqué d'en faire bailler plus d'un.

Est-ce à dire que les opéras de Händel n'auraient plus rien à raconter qui nous concerne ? Le public doit-il être mis en cause (d'ailleurs, que cherche-t-il lorsqu'il se rend à une représentation) ? Doit-on en conclure que les raffinements de cette musique devraient désormais se trouver bien heureux qu'on les écoute en version de concert ou sur disques, sans tentatives d'incarnation ? L'on se rappelle pourtant avec plaisir les Tamerlano et Alcina de Pierre Audi (Drottningholm, étés 2002 et 2003), Tamerlano par Sandrine Anglade (Lille, octobre 2004) et bien d'autres réussites. Il semble que les metteurs en scène aient aujourd'hui à méditer la place à accorder non seulement à l'analyse dramaturgique d'une œuvre et à l'impact scénographique de sa transmission, mais surtout à la direction d'acteurs, ce qui revient à dire que l'évidente théâtralité du matériau händélien contient certainement le renouvellement d'une inventivité perdue derrière laquelle tous ont l'air de courir.

Bertrand Bolognesi